mercredi 23 avril 2008

Silencieux flocons.

On entendait tomber la neige. Sur les hauts sapins verdoyants et la prairie glacée, les flocons blancs se posaient délicatement, manteau virginal et meurtrier. Le vieux monsieur contemplait ce paysage familier, fabuleux. La buée sur la vitre l’empêchait de bien voir, alors, avec sa manche, il essuya le verre.


Un groupe de gens s’approchait de la jolie maison, à droite de la colline. Elle était belle, cette maison, un vrai chalet suisse dont même le toit était en bois ! Il y avait une bordure sculptée pour cacher la gouttière, et s’il faisait assez froid, la neige formait de petites stalactites de glace. Des étincelles gelées tombaient alors sur le tapis immaculé, le creusant un peu plus à chaque fois.
Quand les jours devenaient plus courts, les nuits se faisaient plus froides, les nuages cachaient le soleil de l’aurore au crépuscule. Il n’y avait plus rien à faire dehors, alors il restait à l’intérieur, près du poêle, enveloppé dans sa couverture de laine. Et il était bien, dans sa petite cabane, il vivait comme il l’entendait. Seul.
Il dormait beaucoup, mangeait peu, observait les alentours. Il n’y avait que peu de passage, surtout en hiver. Quelques chasseurs s’arrêtant une nuit ou deux, des randonneurs qui passaient par là…
Il sortit de sa rêverie pour regarder le groupe avancer prudemment. Il remarqua deux enfants, affairés à faire un bonhomme de neige. La petite fille, tache rouge et remuante, ramassait de petits morceaux de bois, pour les bras, les yeux… Le garçon, probablement plus âgé, s’occupait de constituer la tête du bonhomme. Cette frénésie à créer une chose aussi éphémère l’émut profondément.

Il se souvint de ce jour ensoleillé, il y a cinquante ans de cela. Lui aussi, alors, était chargé du corps du bonhomme de neige. Et une petite fille, vêtue de violet, ramassait elle aussi quelques brindilles, pommes de pin et bout d’écorce, qui seraient bientôt les yeux, les poches, les boutons du costume de ce monsieur de neige, le dernier de la saison, peut-être.
Ce n’était pas facile, de savoir si la neige tiendrait longtemps ou non. Il fallait bien doser la taille du bonhomme, la proportion entre la tête et les deux parties du corps. Si le froid continuait, alors le bonhomme resterait intact. Il y arrivait plutôt bien, en général.
La neige était tombée toute la nuit, mais à présent le soleil froid régnait sur la campagne blanchie. Il avait bientôt fini, il ne manquait plus que la tête. La petite pourrait achever leur belle réalisation. Il recula un peu, pour contempler le bonhomme. Il était vraiment réussi, celui-là !
Il se retourna, pour voir où en était sa sœur dans sa recherche d’accessoires et de décorations. Il ne l’aperçut pas, et pensa qu’elle était entrée dans le petit bois. Là-bas, elle trouverait à coup sur ce qu’elle cherchait.
La petite fille était en effet entrée dans le bois, et elle y avait trouvé nombre de merveilles : une pomme de pin, quelques baies rouges, de gros morceaux d’écorce de bouleau… Elle avait même trouvé un edelweiss !
Elle était ensuite ressortie du bois, espérant trouver deux jolis branchages, pour les bras. C’était important que le bonhomme ait des bras, pour y accrocher un panier avec les graines pour les oiseaux, ou peut-être quelques décorations pour Noël.
Elle scrutait attentivement le sous-bois, même si sur la neige, le bois sombre se voyait assez vite. Elle avait cependant remarqué, en contrebas, un petit tas de bois. Là, elle trouverait !
Elle était descendue doucement, prudemment. La neige n’était pas givrée, donc ça ne glissait pas trop. Plus elle s’approchait, plus elle en était sure : elle avait tous les éléments, cette fois.
Arrivée à la petite pile de bois, elle se mit à détailler une par une les bûchettes : les bras ne devaient être ni trop gros, ni trop lourds, ni trop longs, avec une fourche qui formerait les mains, et pas de feuilles parce qu’elle n’aimait pas les enlever.
Enfin, les voilà ! Elle prit les deux branches dans ses bras, s’assura qu’elle n’avait rien perdu de ses merveilles, et se releva. Elle ne pensait pas que les branches seraient aussi lourdes, et, déséquilibrée, elle tomba.

C’est là qu’il l’avait trouvée, entourée de fleurs et de trésors. Il était resté là un long moment, ne sachant que faire exactement. L’urgence de la situation lui échappait ; la vivacité, immobile à présent, le fascinait.
Il resta là longtemps, en haut de la colline. Quand la neige se remit à tomber doucement, il descendit. Il ramassa les quelques décorations, prit la petite fille dans ses bras, et remonta calmement la pente.


La petite fille en rouge avait fait une couronne, qu’elle posa fièrement sur la tête du bonhomme. Il avait des yeux, des lunettes, un nez, deux bras, une écharpe, et surtout une couronne. Satisfaits, ils rentrèrent dans la jolie maison de bois.
Le vieux monsieur les regarda disparaître dans la chaleur et le confort. Une brise soufflait sur la plaine. Le bonhomme tiendrait sans doute un jour ou deux. Il était beau, ce bonhomme.
Il y avait de la buée sur la vitre, alors, avec sa manche, il essuya. Puis il retourna la boule à neige, et les flocons se mirent à tomber sur le petit chalet de bois. Il les entendait tomber.

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